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LA FEMME DU DOCTEUR

amour et culte se prouvant par tant de vers charmants et ne quittant jamais le domaine rose et nuageux de la poésie pour les régions vulgaires de la prose ! Déshonneur ! honte… elle rougit au moment où ces mots cruels touchèrent son pauvre cœur sentimental. Elle eut envie de s’enfuir brusquement et de ne jamais revoir Lansdell. Son cœur en serait brisé sans doute ; mais un cœur brisé et une fin prématurée avec une pierre tumulaire ad hoc étaient infiniment préférables à la honte ! Les larmes inondèrent ses joues empourprées et elle détourna son visage de Roland. Elle était à moitié suffoquée par un sentiment mêlé de chagrin et d’indignation.

— Je ne pensais pas que vous étiez honteux de vous rencontrer avec moi ici quelquefois, — dit-elle en sanglotant ; vous me disiez de venir. Je ne pensais pas que vous étiez humilié de causer avec moi… je…

— Eh quoi ! Isabel… chère Isabel !… s’écria Roland, — pouvez-vous vous méprendre si complétement ? Moi… honteux de vous rencontrer… honteux de votre société ! Pouvez-vous douter de ce qui serait arrivé si j’étais revenu un an plus tôt que mon malheur ne m’a permis de le faire ? Pouvez-vous mettre un seul instant en doute que je vous eusse choisie pour femme entre toutes les femmes de l’univers, et que mon plus grand orgueil eût été de vous donner ce nom chéri ? Il était trop tard, Izzie, trop tard ; trop tard pour conquérir ce bonheur pur et parfait qui aurait fait un autre homme de moi, qui aurait fait de moi un homme utile et bon, je le crois. Je suppose qu’il en est toujours ainsi ; je crois qu’il manque toujours une goutte à la coupe du bonheur, cette unique