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LA FEMME DU DOCTEUR

— Oui, mais vous voici revenu.

— Oui, — répondit Lansdell en croisant les bras et en regardant son parent en face tandis qu’un étrange sourire se montrait sur ses lèvres, — oui, le fait est par trop évident pour que je le nie. Me voici revenu.

Raymond garda le silence pendant une minute à peu près. Le jeune homme, debout, appuyé dans l’angle d’une fenêtre profonde, ne quittait pas des yeux le visage de son ami. Il y avait dans l’expression de sa physionomie un air provocateur, qui se retrouvait même dans son attitude, car il se tenait debout, les bras croisés, appuyé contre les lambris.

— Roland, j’espère que, puisque vous voici revenu, c’est que la raison qui vous a éloigné d’ici a cessé d’exister. Vous revenez parce que vous êtes guéri. Je ne puis m’imaginer qu’il en soit autrement, Roland ; je ne puis croire que vous m’avez manqué de parole.

— Que direz-vous donc si je suis revenu parce que j’ai reconnu que mon mal est incurable ! Que direz-vous, lorsque je vous affirmerai que je vous ai tenu parole, que j’ai essayé d’oublier, et que je suis revenu parce que je ne le peux pas !

— Roland !…

— Oui, c’est une fièvre insensée, n’est-ce pas ? très-insensée, très-misérable aux yeux du grave docteur qui l’étudie et qui regarde le malheureux patient se tordre et tressaillir, en écoutant les paroles de son délire. Avez-vous jamais vu un homme pris du delirium tremens attrapant des mouches imaginaires, et criant après les démons et les farfadets qui dansent sur son couvre-pieds ? Quelle déplorable maladie !… et dire que ce n’est rien que le résultat de quelques bouteilles d’eau de-vie prises en trop. Mais vous ne pouvez la guérir.