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LA FEMME DU DOCTEUR.

— Je pensais que vous ne reviendriez… jamais… jamais…

— J’ai visité Corfou, l’Italie, et d’innombrables pays autres que ceux-là. Je voulais rester à l’étranger, mais… mais j’ai changé d’idée et me voici. J’espère que vous êtes contente de me revoir.

Que pouvait-elle lui dire ? La terreur qu’elle avait de trop dire lui faisait garder le silence ; les battements de son cœur lui bruissaient aux oreilles, et elle avait peur que lui aussi entendît ce bruit révélateur. Elle n’osait pas lever les yeux, et cependant elle savait qu’il la regardait avec ardeur, qu’il scrutait son visage, pour ainsi dire.

— Dites-moi que vous êtes heureuse de me voir, — dit-il. — Ah ! si vous saviez pourquoi je suis parti… pourquoi j’ai lutté si fort pour ne pas revenir… pourquoi je suis revenu malgré tout… malgré tout… en dépit de tant de résolutions prises et oubliées, tant d’incertitudes, tant de doutes et d’hésitation !… Isabel ! dites-moi que vous êtes contente de me revoir !

Elle essaya de parler, bégaya un ou deux mots, s’interrompit, et s’éloigna de lui. Puis elle se retourna vers lui comme par une impulsion soudaine, aussi innocemment et puérilement que Zuléika regardant Sélim, oubliant pour une minute la maison carrée de la ruelle poudreuse, Gilbert, et tous les devoirs de sa vie.

— J’ai été bien malheureuse, — s’écria-t-elle. — J’ai été bien malheureuse ; et cependant vous repartirez un jour ou l’autre et je ne vous reverrai jamais… jamais plus.

La voix lui manqua et elle fondit en larmes, puis se