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LA FEMME DU DOCTEUR

envoie, pour le consoler, la Vie de Robert Hall ? Isabel, très-folle et très-aveugle en comparaison du fils d’Austin Caxton, trouva néanmoins quelque consolation dans l’histoire des souffrances des hommes vertueux. La conscience de son ignorance s’accrut à mesure qu’elle devenait moins ignorante ; et il y avait des moments où la romanesque enfant était presque raisonnable et se résignait à l’idée que Roland n’aurait aucun rôle dans l’histoire de sa vie. Il est impossible de vivre dans la fréquentation constante des bons auteurs sans devenir plus sage et meilleur dans leur compagnie sérieuse et saine. Lente et subtile est l’influence exercée, et le progrès imperceptible au moment où il agit, mais ils n’en sont pas moins certains. Petit à petit Isabel s’en retourna chez elle avec une conscience joyeuse, accueillit généreusement son mari, et se réconcilia suffisamment avec une existence dont la plate monotonie était en quelque sorte contrebalancée par le loisir qu’elle lui laissait pour lire d’excellents livres. Si la vie endormie, les calmes après-midi dans les appartements déserts du château, avaient pu ne pas cesser, je crois fermement qu’Isabel serait petit à petit devenue une femme instruite et raisonnable ; mais le courant de son existence n’était pas destiné à suivre lentement sa marche jusqu’à la fin. Il devait contenir des orages et des dangers de naufrage, des craintes et des angoisses, avant que les eaux s’en jetassent dans le golfe tranquille et que se terminât l’histoire de sa vie.

Un jour du mois de mars, par un temps glacial, alors que les feux des appartements de Mordred avaient un aspect particulièrement hospitalier, Mme Gilbert porta ses livres dans une chambre retirée, demi-bou-