Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/301

Cette page a été validée par deux contributeurs.
297
LA FEMME DU DOCTEUR

moi, qui ai fait un usage si pitoyable de ma vie, j’aurais mauvaise grâce à me plaindre de l’homme qui l’a abrégée d’une année ou deux.

Voilà pourquoi Sleaford partit sans être inquiété. En dépit de cette menace meurtrière qu’il avait faite sur le banc d’Old Bailey, malgré la violence de son attaque envers Lansdell, il n’avait peut-être pas eu l’intention de tuer son ennemi. Pour employer son propre langage, « il n’avait pas eu l’intention d’aller trop loin. » Il y a un gouffre immense entre l’art d’imiter la signature de son prochain, de mettre le mot cent devant le mot vingt, ou d’ajouter un zéro furtif après le chiffre d’un chèque, — il y a une distance énorme entre ces tours de force illégaux et un acte d’homicide délibéré. Sleaford voulut seulement punir le dandy oisif qui avait porté témoignage contre lui ; gâter pour quelque temps son joli visage ; en un mot, lui donner occasion de ne pas oublier cette fantaisie d’agent de police amateur à laquelle il avait consacré son élégante oisiveté. Le père d’Isabel n’avait pas voulu faire plus que cela. Mais lorsqu’on frappe un homme sur la tête avec une canne plombée, ce n’est pas chose si facile de tracer la ligne de démarcation entre la brutalité et le meurtre. Sleaford alla un peu trop loin, ce qu’il apprit quelques jours plus tard en lisant dans le supplément du Times la nouvelle de la mort inopinée de Roland Lansdel, Esq., du Prieuré de Mordred, Midland.

Cet homme robuste, en lisant cette nouvelle dans un cabaret borgne de l’un des carrefours les plus obscurs de Lambeth, sentit une glaciale impression de peur qu’il n’avait jamais éprouvée auparavant au milieu de toutes les petites difficultés résultant de