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LA FEMME DU DOCTEUR.

le corridor où les portraits des Lansdell défunts, — qui lui ressemblaient tous plus ou moins, — baissaient leurs regards attristés du haut du lambris. Un flot de soleil brûlant pénétra dans la chambre ; mais elle ne se faisait aucune idée nette de l’heure. Elle avait perdu toute notion du temps depuis le coup inattendu de la mort de son mari ; elle ignorait même le jour de la semaine. Elle savait seulement que la fin du monde paraissait venue et que c’était une chose bien douloureuse de rester seule dans ce désert.

Pendant longtemps elle resta agenouillée auprès du lit, priant Dieu pour qu’il conservât la vie à Roland, — rien que la vie, au moins. Elle pensait qu’elle serait heureuse et satisfaite de le savoir vivant, quand même ils devraient être à jamais séparés. Il n’y avait pas dans son esprit le moindre vestige de désir égoïste. D’une manière puérile, ignorante, comme un enfant peut prier pour la guérison de sa mère, cette enfant priait pour que Roland ne mourût pas. Aucune pensée de sa liberté récente, aucun pressentiment de ce qui pouvait arriver s’il revenait à la santé, ne vint troubler la ferveur naïve de ses prières. Elle désirait uniquement qu’il ne mourût pas.

Le soleil descendit vers l’horizon ; mais ses rayons éclairèrent encore cette femme agenouillée. Peut-être Isabel croyait-elle que ses prières seraient d’autant mieux accueillies qu’elles seraient plus longues. C’étaient des supplications décousues très-peu orthodoxes. Il n’est pas donné à tout le monde de s’écrier : « Que votre volonté soit faite ! » Pitoyables, faibles et insensées sont quelques-unes des lamentations qui montent jusqu’au trône éternel.