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LA FEMME DU DOCTEUR.

profondeur du ruisseau. Elle ferma les yeux, sa tête tomba sur ses bras croisés, et elle revit la scène tout entière. Elle entendit le frissonnement des joncs, le clapotement du goujon sautant hors de l’eau ; elle vit la lumière dorée du soleil sur les feuillages, la radieuse lumière du soleil se glissant à travers la moindre ouverture laissée par le feuillage épais, et elle vit son visage tourné vers elle avec ce regard lumineux, ce sourire brillant et tendre qui avaient l’air d’une autre espèce de rayon solaire.

Aurait-il du chagrin s’il dépliait le journal et trouvait dans un coin un petit paragraphe racontant qu’elle avait été trouvée flottant à cet endroit même parmi les herbes aquatiques ? Se rappellerait-il cette radieuse après-midi et les choses qu’il lui avait dites ? Ses paroles avaient été très-décousues et très-nuageuses ; mais il y avait eu, ou il semblait y avoir eu un sous-courant de tendresse mélancolique, aussi vague et capricieux, aussi indécis et mystérieux, que le murmure de la brise d’été parmi les joncs.

Je crois que les jeunes esprits rêvent naturellement de suicide. N’aspirent-ils pas de toutes leurs forces à se distinguer, n’importe à quel prix, même par la renommée éphémère de l’enquête du coroner et des articles spéciaux dans les feuilles hebdomadaires ? Ce n’était pas tant le calme absolu du tombeau que désirait Isabel : elle désirait mourir afin de causer du chagrin à Lansdell ; afin de faire sentir à ce cœur de roc les angoisses du remords, elle eût volontiers donné sa vie. Mais quand une jeune femme sentimentale de dix-neuf ans est à moitié portée à se rendre un instant célèbre par le suicide, il arrive souvent qu’elle est retenue, sinon par une pieuse horreur de ce