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LA FEMME DU DOCTEUR

je sais qu’il est difficile d’appeler la sympathie sur un chagrin si peu fondé, sur une douleur imaginaire ; mais ses souffrances n’en étaient pas moins réelles parce qu’elles semblaient folles aux yeux de la sagesse. Il n’y avait pas bien longtemps qu’elle avait passé des nuits blanches à pleurer la mort d’un épagneul favori ; il n’y avait pas bien longtemps qu’elle s’était couchée toute chagrine parce que le second de ses romans favoris n’était pas disponible chez le petit libraire de Camberwell. Toutes les préoccupations plus sévères de la vie lui étaient encore inconnues, toutes les leçons les plus dures lui restaient encore à apprendre.

À la brune elle descendit, le visage aussi blanc que la robe de mousseline chiffonnée qui l’enveloppait de ses plis froissés et mous. Elle descendit dans le petit parloir où George et Sigismund attendaient leur thé et où deux chandelles jaunes laissaient trembloter leur lumière à la faible brise du soir.

Elle leur dit que sa tête allait mieux ; puis se mit à faire le thé, mêlant des quantités indécises de congo et de poudre-à-canon dans la petite coquille d’argent à jour dentelée qui avait appartenu à la grand’mère de Gilbert, et sur laquelle était gravé un profil bouffi de George III.

— Mais tu as pleuré, Izzie ! — s’écria George tout à coup, car les paupières de Mme Gilbert paraissaient rouges et bouffies à la lumière des chandelles.

— Oui, j’avais si grand mal de tête que j’en ai pleuré ; mais, je vous en prie, n’en parlons plus, — dit Isabel d’un ton suppliant. Je pense que c’est… le… déjeuner… d’hier, — à peine put-elle prononcer le mot, en se rappelant la bonté qu’il lui avait témoignée pendant