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LA FEMME DU DOCTEUR

donnant cette caresse, une indifférence insolente qui blessa Roland plus profondément que ne l’eût fait une manifestation plus chaleureuse.

Immédiatement après, la femme du médecin s’éloigna. Roland la vit se retourner et s’arrêter un instant pour regarder l’homme qu’elle venait de quitter, puis disparaître au milieu des ombres du vallon. Ah ! si elle avait pu n’être qu’un fantôme ; s’il avait pu s’éveiller et reconnaître que tout cela n’était qu’un rêve pénible ! L’homme resta à l’endroit où l’avait laissé Isabel, pendant qu’il prenait une boîte d’allumettes dans la poche de son gilet et qu’il allumait son cigare ; mais il tournait toujours le dos à Lansdell.

Il tira deux ou trois bouffées de son cigare, s’assura qu’il était bien allumé, puis il se rapprocha lentement de l’endroit au-dessus duquel se tenait Roland.

Tout ce qui restait du sauvage originel sous l’élégant gentleman surgit en ce moment dans le cœur de Roland. Il était venu là uniquement pour s’assurer qu’il avait été trahi et trompé ; il était venu sans aucune intention de se venger, ou, tout au moins, il n’avait pas conscience de cette intention. Il était venu pour être froid, indifférent, ironique ; pour tuer avec des paroles cruelles et acérées, peut-être, mais non pas pour faire usage des armes ordinaires. Mais en un instant toute sa philosophie indifférente de fraîche date s’évanouit, et le laissa en proie aux instincts sanguinaires de l’homme primitif et au sentiment brûlant de l’offense qui lui était faite et qui lui déchirait le cœur.

Il descendit précipitamment le talus escarpé, effleurant à peine l’herbe glissante ; mais il arracha les fougères et les taillis qui se trouvaient sur son chemin,