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LA FEMME DU DOCTEUR

ment calme à cette heure silencieuse. Il apercevait le chemin qui serpentait et se rétrécissait sous les arbres jusqu’à ce qu’il atteignît un petit pont rustique. Il entendait le sourd murmure du ruisseau lointain, et, très-rapproché du pont, il voyait les murs blancs de la petite auberge, losangés de larges poutres noires, et couronnés de hauts pignons recouvrant des fenêtres bizarrement treillissées. À l’une des fenêtres du rez-de-chaussée, une maigre chandelle brillait derrière un lambeau de rideau rouge, et à travers la porte entr’ouverte un étroit rayon de lumière traçait une ligne brillante sur le sol.

Il vit tous ces détails ; puis, à l’autre bout du tranquille vallon, il vit deux silhouettes s’avançant lentement vers l’auberge. Deux silhouettes, dont l’une lui était si familière et lui avait été si chère, que le désespoir complet et absolu l’étreignit pour la première fois au moment où il la reconnut. Jusqu’à ce moment, il n’avait pas cru à sa fausseté ; il n’y avait pas cru, car, autrement, la douleur de la voir n’eût pas été si grande.

Il se tenait sur le bord du talus escarpé, serrant dans ses mains crispées les branches voisines, et regardant ces deux silhouettes tranquilles avançant lentement au clair de la lune. Il n’y avait rien entre lui et elles, excepté cette banquette verdoyante, parsemée çà et là de bouquets de genêts et de fougères, de bruyères et de plançons ; rien ne gênait sa vue, et les rayons de la lune tombaient d’aplomb sur le groupe. Il ne regardait pas l’homme. Que lui importaient l’air ou les manières qu’il pouvait avoir ! Il la regardait, — il regardait celle qu’il avait aimée si tendrement… celle pour l’amour de qui il avait con-