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LA FEMME DU DOCTEUR.

cha une carafe d’eau au milieu des verres et des cristaux ; il remplit son verre, et Raymond vit au tremblement de l’eau que la main de son parent était agitée d’un tremblement convulsif. Après avoir bu à longs traits, Roland tendit sa main à travers la table.

— Donnez-moi la main, Raymond, — dit-il d’une voix sourde ; — je vous remercie de tout mon cœur de m’avoir dit la vérité ; vous avez bien fait d’être franc et de ne me rien cacher. Mais si vous saviez combien je l’aimais… si vous pouviez le savoir !… Vous pensiez que c’était seulement la passion déshonorante d’un débauché qui devient amoureux d’une femme mariée, et poursuit son caprice, sans s’inquiéter du désespoir dans lequel il peut jeter autrui. Mais cela n’était pas, Raymond, ce n’était rien de semblable, Dieu me pardonne ! Mais au milieu du chagrin égoïste que m’inspirait mon amer désappointement, j’ai parfois ressenti un frisson de bonheur en pensant que le nom de cette pauvre enfant était encore sans tache. J’ai éprouvé ce sentiment, en dépit de ma vie gaspillée, malgré la destruction cruelle de toutes les espérances qu’avait fait naître en moi mon amour pour elle ; et penser qu’elle… elle qui a vu ma sincérité et mon désespoir, mon cœur sans force exposé à ses regards dans sa folie abjecte… penser qu’elle a pu me congédier avec des phrases de pensionnaire sur le devoir et l’honneur, et puis, pendant que mon chagrin est encore récent, pendant que je restais ici, trop amoureux encore pour quitter les lieux où j’avais si cruellement souffert… penser qu’elle va se perdre dans quelque basse intrigue, dans quelque association honteuse et secrète avec… Ah ! Raymond ! ceci est trop cruel !… trop cruel !…