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LA FEMME DU DOCTEUR

tiser comme une créature coupable ; mais à cela près que ne pouvait-on pas lui faire ? elle se représentait tout ce qui l’attendait : son mari viendrait à savoir ce qu’on pensait d’elle ; il partagerait lui-même les mêmes idées et elle serait chassée. Autrefois elle avait pensé que ce n’était pas une chose si déplaisante que d’être chassée, d’errer par les rues comme Florence Dombey ; mais Mlle Dombey avait pour refuge et pour abri la jolie petite maison du capitaine Cuttle, et, pour soutien à l’heure de l’épreuve, la conviction des mérites du défunt Walters. La pauvre Isabel ne possédait aucun ami sur terre, à l’exception de cette criarde et faible belle-mère, là-bas dans l’île de Jersey et qui possédait à peine un morceau de pain et un abri, dévorée qu’elle était par ses enfants. Isabel n’avait pas d’ami ; car n’était-il pas maintenant son plus cruel ennemi, lui qui lui avait causé le tort le plus grand en montrant son inhabileté à la comprendre ? Qui avait confiance en elle, qui l’aiderait, si tout Graybridge était contre elle ? Elle imaginait la porte de la maison carrée de la ruelle poudreuse à jamais fermée pour elle et rien qu’un monde dur et impitoyable devant elle.

Les groupes de gens tranquilles, — composés surtout de femmes dont bien peu étaient jeunes, — s’évanouirent lentement sous le sombre portail de l’église, comme les silhouettes vagues et brumeuses d’un diorama. Les cloches sonnaient toujours dans la fraîche atmosphère crépusculaire ; mais, en ce moment, le cimetière était fort désert et les yeuses solennelles prenaient des formes étranges et fantastiques sur le fond du ciel d’un gris sombre. Rien qu’une ligne mince de lumière d’un jaune pâle restait du jour qui finissait, — de ce jour qui avait vu les adieux d’Isabel à Roland !