Page:Braddon - L’Héritage de Charlotte, 1875, tome II.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
60
L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

de sujet de crainte, quant à présent… aucun sujet. Je vous en donne ma parole, comme médecin.

— Aucune cause de crainte, quant à présent ?… Ce qui signifie que ma bien-aimée ne me sera pas enlevée cette nuit, ou demain matin. J’aurai quelques jours pour respirer, oui, je vous comprends. L’arrêt est prononcé. J’ai vu la mort sur son visage aujourd’hui.

— Mon cher Haukehurst…

— Mon cher Sheldon, par pitié, ne me traitez pas pomme si j’étais une femme ou un enfant. Faites-moi connaître son sort. Si… si… la plus grande de toutes les calamités que la main de Dieu peut faire tomber sur moi en punition de mes fautes passées, doit me frapper, si ce mortel chagrin doit m’atteindre, donnez-moi la force de le supporter en homme. Que je meure sans bandeau sur les yeux. Oh ! cher et bel ange rédempteur des fautes de ma vie mal employée ! n’avez-vous été envoyé d’en haut que pour briller un moment à mes yeux, et repartir après votre mission rédemptrice accomplie !

— Bonté céleste ! pensa Sheldon, quelles absurdités ces écrivains sont susceptibles de débiter ! »

Il n’était en aucune façon touché de l’angoisse du pauvre amoureux, toute réelle qu’elle était : un pareil chagrin était en dehors du cercle dans lequel ses pensées évoluaient. Cette manifestation de douleur lui était désagréable. Elle agaçait péniblement ses nerfs, comme les discours du pauvre Tom au temps jadis, quand l’honnête fermier était couché sur son lit de mort ; la présence du jeune homme, l’anxiété du jeune homme lui causaient un désagrément du même genre.

« Dites-moi la vérité, monsieur Sheldon, dit alors Valentin en se contenant, reste-t-il de l’espoir, le moindre espoir pour ma pauvre chérie ? »