Page:Braddon - L’Héritage de Charlotte, 1875, tome I.djvu/9

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
5
L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

par le temps. Jamais ils n’avaient fait d’autre métier que le métier des armes. Un seigneur de Beaubocage avait combattu sous Bayard lui-même ; un autre était mort à Pavie, dans cette journée où tout fors l’honneur avait été perdu ; un autre avait suivi le panache blanc du Béarnais, un autre… mais à quoi bon rappeler la gloire de cette maison, à laquelle Gustave était si disposé à infliger la disgrâce d’une profession libérale.

Tels étaient les arguments du père, mais la mère avait passé sa jeunesse au milieu du bruit des campagnes de l’Empire, et la pensée de la guerre était terrible pour elle. Le souvenir de la retraite de Russie datait à peine de vingt ans ; il y avait encore des hommes qui en racontaient la terrible histoire, dépeignaient ces jours et ces nuits d’horreur, cette puissante marche de la mort.

C’était elle et sa fille Cydalise qui avaient aidé Gustave à se persuader qu’il était fait pour se distinguer dans la noble carrière du barreau ; elle désirait qu’il allât étudier à Paris.

Le jeune homme lui-même en avait un ardent désir. Il comptait revenir quelques années plus tard pour plaider à Vire, qui était à une demi-douzaine de lieues du domaine. Il était certainement né pour défendre l’innocence et flétrir le coupable, pour être grand, courageux, enthousiaste.

Il ne vint pas même à la pensée de cet esprit simple qu’il pût jamais être appelé à défendre un coupable ou à accuser un innocent.

Tout enfin fut convenu : Gustave irait à Paris où il ferait son droit ; il ne manquait pas de pensions dans le voisinage de l’École de Droit où un jeune homme