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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

« Pourquoi tu pleures, madame ? demandait l’enfant à sa grand’mère, pendant que celle-ci le serrait dans ses bras en l’inondant de larmes ; qu’est-ce qu’on a fait à papa… et à maman aussi ? Elle est partie, mais elle m’a dit qu’elle reviendrait tout de suite… tout de suite ! Et puis, il s’est passé des jours, et, après, on a enfermé papa dans sa chambre en me défendant d’y aller, et maman n’est pas revenue, bien que j’aie prié la bonne Sainte Vierge pour qu’elle revînt.

— Cher enfant, ton père et ta mère sont dans un monde meilleur que celui-ci, où ils ont eu tant de chagrin, lui répondait Mme Lenoble.

— Oui, ils avaient bien souvent du chagrin, murmura l’enfant d’un air pensif ; c’était à cause de l’argent ; mais, alors, quand ils n’avaient pas d’argent, maman pleurait et elle m’embrassait, et elle embrassait papa, et mon bon papa nous embrassait tous les deux, et nous finissions toujours par être heureux. »

François Lenoble se trouvait heureusement absent ce jour-là.

Les femmes se laissèrent aller librement à leur douleur, mais ce fut un chagrin mêlé d’une joie étrange, amère, qui était presque du bonheur.

Le seigneur de Beaubocage avait été dîner, comme cela lui arrivait souvent, chez son vieil ami le baron Frehlter, car le manquement à la parole donnée qui avait séparé pendant tant d’années le père et le fils, n’avait pas brouillé les deux amis ; le baron avait même été assez généreux pour plaider la cause du banni.

« L’homme n’est pas maître de ses affections, mon ami, insistait-il, et il y a eu plus de loyauté de la part de votre fils de manquer à sa parole avant le mariage qu’après. »