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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

le contraire de celui que Diana s’était attendue à voir.

Les peintures d’imagination sont rarement des portraits exacts.

Mlle Paget croyait trouver un homme petit avec une figure ridée, vieux et laid, desséché et blanchi dans l’épaisse atmosphère de la fraude et des complots, une face de singe, avec l’âme d’un tigre.

Et au lieu de cette déplaisante créature paraissait dans la chambre un homme de trente-quatre ans, grand, fort, avec une belle figure fraîche, un peu brunie par le soleil d’été, dont la barbe et les cheveux épais étaient noirs et les vêtements coupés court à la dernière mode française ; des yeux bleus, vifs et clairs, et une bouche où s’épanouissait je ne sais quoi d’ingénu et de bon, en dépit de la magnifique moustache qui la surmontait ; Henri de Navarre, le Béarnais, avant que sa vue eût été troublée par la splendeur des Lys de France, avant que la cour des Médicis eût enseigné à son cœur loyal le goût du mensonge, avant que le huguenot d’autrefois eût endossé le harnais catholique, oui, le Gascon Henri de Navarre à trente-quatre ans devait être ainsi.

Une surprise de ce genre produit une sorte de crise dans la vie peu accidentée d’une femme.

Diana se sentit rougir pendant que l’étranger se tenait debout à la porte, attendant que son père l’introduisît : elle était honteuse de l’injustice que son imagination avait commise envers lui.

« Ma fille… Diana Paget… M. Lenoble. J’ai fait connaître à ma fille combien je vous suis redevable pour l’hospitalité que vous ayez bien voulu me donner pendant mon séjour en Normandie, continua le capitaine, en prenant son plus grand air. Je regrette de vous recevoir dans un appartement tout à fait indigne du sei-