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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

votre rougeur était donc la rougeur simulée d’une coquette émérite. Toutes les tendres paroles que vous m’avez dites… tout ce frémissement ému que j’entendais quand vous parliez à voix basse… toutes les larmes que je voyais dans vos yeux et qui me paraissaient si sincères, tout… tout était donc faux… tout était une illusion… une…

La main puissante du jeune homme couvrit son visage et on l’entendit sangloter. Margaret le regardait ; ses yeux étaient sans larmes, ses lèvres se contractaient d’une façon convulsive, mais il n’y avait point d’autre trace d’émotion dans son visage.

— Pourquoi avez-vous agi ainsi, Margaret ? — dit Clément après un moment, et d’une voix qui montrait tout le déchirement de son cœur. — Pourquoi avez-vous fait une chose aussi cruelle ?

— Je vous dirai pourquoi, — répondit lentement la jeune fille d’un ton délibéré ; — je vous dirai pourquoi, et à vos yeux je serai tout à fait méprisable, et ce sera alors chose facile pour vous d’effacer à jamais mon image de votre cœur. J’étais une pauvre fille désolée, et pire encore que cela, car la tache de l’histoire honteuse de mon père souille à tout jamais mon nom. C’était beaucoup trop d’honneur, pour un être tel que moi, que de gagner l’amour d’un honnête homme… d’un gentleman… qui pouvait m’abriter contre tous les maux de la vie, en me donnant un nom sans tache et un rang honorable dans le monde. J’étais la fille d’un forçat libéré, d’un réprouvé, et votre amour m’offrait la perspective splendide de ma rédemption des sombres abîmes de mépris et de misère dans lesquels je vivais. Je n’étais qu’une faible mortelle, Clément Austin ; qu’y avait-il en moi qui pût m’inspirer des sentimentsaux ou généreux, ou me donner la force de rester à la tentation ? J’ai saisi au vol la seule chance de ma misérable existence ; je ré-