théâtre de province. L’afficheur avait placé l’avis de la récompense offerte par Mellish, pour la découverte du meurtrier, dans tous les endroits avantageux et n’avait pas oublié cette position qui commandait un des débouchés de la place.
— C’est étonnant, — dit Grimstone, — que cette bienheureuse affiche n’ait pas ouvert les yeux à ces nigauds de Doncastre. Je suis sûr qu’ils pensent que c’est un voile épais pour les dépister ; leurs nez habiles sont entêtés dans leur détermination. Si je puis atteindre mon homme avant qu’ils ouvrent les yeux, j’aurai fait un coup de filet comme il y a longtemps que je n’en ai eu.
Grimstone s’éloigna du théâtre et traversa le marché en se livrant à ces agréables réflexions. À l’intérieur du bâtiment la clameur des acheteurs et des vendeurs était à son apogée : de bruyants campagnards causaient dans leur patois du Nord sur la valeur et le mérite de leur volaille, de leur beurre, de leurs œufs ; les marchands de viande de boucherie se mettaient en quatre pour essayer de satisfaire simultanément une douzaine de rusées femmes de charge marchandant, tandis que du dehors arrivait un bruit confus d’autres marchands et d’autres acheteurs, criant et se bousculant contre les compartiments des marchands de légumes et les brouettes limoneuses des marchands de poissons aux jaquettes bleues. Au milieu de ce bruit et de cette confusion, Grimstone marcha subitement vers son confiant allié, pâle, frappé de terreur et seul !
L’esprit de l’agent ne fut pas lent à saisir la vraie face de la situation.
— Vous l’avez perdu ! — murmura-t-il en colère, saisissant l’infortuné Chivers par le collet de son habit et le clouant aussi solidement que s’il avait la sérieuse idée de faire de lui un meuble permanent sur les dalles de la place. — Vous l’avez perdu, Chivers, — continua-t-il éperdu. — Vous avez perdu une partie que je vous avais dit avoir plus de prix pour moi que toutes les autres pour lesquelles je vous ai employé. Vous m’avez enlevé la meilleure chance que j’aie eue depuis que je suis à Scotland