écraser le lâche désespoir pour lequel il se méprisait lui-même, et frappant son front avec ses poings crispés, Mellish se détourna de son ami, et s’appuyant contré la branche noueuse d’un grand chêne, il se mit à pleurer tout haut. Bulstrode attendit que cette crise fût passée ; mais quand son ami fut devenu plus calme, il pencha son bras vers lui et l’entraîna presque aussi tendrement que si John eût été une femme ayant sérieusement besoin d’aide et de secours.
— John, John, — dit-il gravement, — remerciez Dieu, remerciez Dieu que quelque chose rompe la glace entre nous. Je connais votre douleur, mon pauvre ami, et je sais qu’elle n’a aucune raison d’être. Levez la tête, mon ami, et regardez votre bonheur à venir. Je connais la noire pensée qui torture votre pauvre cœur : vous croyez qu’Aurora a assassiné le domestique !
Mellish s’arrêta, frémissant convulsivement.
— Non… non, — dit-il, — qui a dit cela ?… qui ?…
— Vous le pensez, John, — continua Bulstrode, — et vous lui faites la plus grande injure qui ait jamais été faite à une femme : une injure plus honteuse que celle que j’ai commise quand j’ai pensé qu’Aurora était coupable de quelque vile intrigue.
— Vous ne savez pas… — dit John.
— Je ne sais pas !… Je sais tout et j’ai prévu la peine pour vous, avant que vous ayez vu le nuage dans le ciel. Mais je n’ai jamais songé à cela. J’ai pensé que les paysans soupçonneraient votre femme, comme il plaît toujours aux gens de charger d’un crime la personne pour laquelle ce crime est d’autant plus affreux. J’y étais préparé ; mais penser que vous… vous, John, qui devriez avoir appris à connaître votre femme, penser que vous ayez soupçonné la femme que vous avez aimée, d’un assassinat !…
— Comment avons-nous su que… que l’homme ait été assassiné ? dit John avec véhémence. — Qui dit que le coup a été traîtreusement donné ? Il peut l’avoir poursuivie au-delà de toute patience, l’avoir insultée dans sa généreuse fierté, et dans la folie de sa passion, ayant ce misérable pistolet en sa possession…