jours lui avaient seulement montré la violence de son affection. Mais le soir de notre retour, Lucy, il a changé, changé subitement et d’une manière inexplicable, et maintenant je sens qu’il y a entre nous un abîme infranchissable. Il est séparé de moi pour toujours.
Mme Bulstrode tressaillit en regardant sa cousine. Était-il bien possible que le chagrin et la confusion des deux dernières semaines eussent ainsi dérangé l’intelligence de cette pauvre femme.
— Ma pauvre Aurora, — murmura-t-elle en éloignant des yeux remplis de larmes de sa cousine ses longs cheveux ; — ma pauvre chérie ! comment est-il possible que John ait changé vis-à-vis de vous. Il vous chérissait tant… d’une manière si dévouée… Rien ne peut l’éloigner de vous.
— Je le pensais comme vous, Lucy, — murmura Aurora d’une voix tendre et brisée par la douleur. — Je pensais que rien ne pourrait jamais nous séparer. Il me disait qu’il me suivrait jusqu’au bout du monde ; il disait qu’aucun obstacle sur la terre ne pourrait nous séparer, et maintenant…
Elle ne put achever sa phrase, car elle éclata en sanglots convulsifs, et courba sa tête sur l’épaule de sa cousine.
— Ô mon amour, mon amour ! — s’écria-t-elle tristement. — Pourquoi me suis-je sauvée et me suis-je cachée de vous ! Pourquoi ne me suis-je pas fiée à mon premier instinct, et ne me suis-je pas enfuie pour toujours ! Toute autre souffrance serait préférable à celle-ci !
Son vif chagrin se changea en une attaque de nerfs, dans laquelle elle ne fut plus maîtresse d’elle-même. Elle avait souffert depuis quelques jours plus amèrement que tout ce qu’elle avait souffert jusqu’alors.
Lucy comprenait tout cela. C’était une de ces natures dont la tendresse instinctive comprend les chagrins des autres. Elle sut comment s’y prendre avec sa cousine, et moins d’une heure après cette crise, Aurora était étendue sur son lit, pâle et épuisée, mais dormant tranquillement. Pendant plusieurs jours elle avait supporté en silence le fardeau de sa douleur, et avait passé des nuits sans som-