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AURORA FLOYD

Il s’arrêta soudain, comme si ces mots lui avaient fait mal, et frappant vivement la terre du pied, il marcha à grands pas, ayant toujours son ami à ses côtés.

La salle à manger semblait passablement triste, quand les deux hommes entrèrent, quoique la table offrît la promesse d’un lunch très-substantiel ; mais il n’y avait personne pour les recevoir ni pour les servir.

John s’assit avec lassitude au bout de la table.

— Vous feriez mieux d’aller voir si Mme Bulstrode et votre maîtresse viennent déjeuner, — dit-il à un domestique qui sortit pour remplir le message de son maître, et qui revint trois minutes après dire que ces dames ne viendraient pas.

Ces dames étaient assises l’une à côté de l’autre sur un sofa, dans la chambre d’Aurora. Mme Mellish avait la tête appuyée sur l’épaule de sa cousine. Rappelez-vous qu’elle n’avait jamais eu de sœur, et que Lucy remplaçait pour elle cette tendre consolatrice. Talbot avait eu raison ; Lucy avait accompli ce que lui n’aurait jamais pu arriver à faire : elle avait trouvé la clef du malheur de sa cousine.

— Lui… cesser de vous aimer, chère ! — s’écria Mme Bulstrode, en répétant comme un écho les derniers mots d’Aurora ; — mais c’est impossible !

— C’est cependant vrai, Lucy, — répondit Mme Mellish avec désespoir. — Il a cessé de m’aimer. Il y a un nuage noir entre nous… maintenant que tous les secrets ont été révélés. C’est très-dur pour moi à supporter, Lucy : car je pensais que nous serions heureux et unis. Mais… mais ce n’est que naturel. La honte l’a accablé… Comment peut-il me regarder sans se souvenir qui je suis et ce que je suis ?… la veuve de son domestique !… Puis-je m’étonner s’il m’évite ?

— Vous éviter, chère.

— Oui, il m’évite. Nous nous sommes à peine dit douze mots depuis le soir de notre retour. Il était si bon pour moi, si tendre, si dévoué pendant le voyage et jusqu’à la maison ; il me répétait que cette découverte n’avait pas affaibli son amour, que tous les chagrins et les horreurs des derniers