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AURORA FLOYD

— Si jamais vous osez tourmenter mon père, vous le payerez cher, Harrisson, — dit-elle ; non pas que je craigne rien de ce que vous puissiez dire, mais je ne veux pas qu’on tourmente mon père, je ne veux pas qu’on le tracasse, il en a assez enduré, il a assez souffert sans cela, Dieu le sait ; je ne veux pas qu’un être tel que vous le gruge et spécule sur ses meilleurs et ses plus tendres sentiments ; je ne le veux pas !

Elle frappait du pied sur la terre glacée en disant cela. Bulstrode la vit et fut surpris de pareils gestes ; il eut presque l’idée de quitter la voiture et d’aller rejoindre Aurora et son solliciteur ; mais les poneys ne restaient pas en repos, et il savait qu’il serait imprudent d’abandonner les rênes à la pauvre et timide Lucy.

— Vous n’avez pas besoin de vous emporter ainsi, mademoiselle Floyd, répondit l’homme qu’Aurora avait interpellé du nom de Harrisson, soyez certaine que je veux arranger les affaires au gré de tout le monde. Tout ce que je demande, c’est que vous soyez généreuse pour un pauvre diable qui a éprouvé des malheurs depuis la dernière fois que vous l’avez vu. Mon Dieu, comme on a des hauts et des bas dans ce monde ! Si ç’avait été l’été, je n’aurais pas eu besoin de vous importuner, mais à quoi sert de se tenir au haut de Regent Street par un temps comme celui-ci avec des petits chiens terriers et d’autres espèces ! Les vieilles femmes n’ont pas l’œil aux chiens pendant l’hiver, et même les messieurs qui s’amusent à attraper des rats deviennent extraordinairement rares : il n’y a pas sur turf de quoi gagner un pauvre sou, et il n’y aura rien à faire jusqu’aux courses du printemps. Je ne serais pas venu près de vous, mademoiselle Floyd, si je ne m’étais trouvé dans la peine, et je sais que vous serez généreuse.

— Généreuse ! — s’écria Aurora, — grand Dieu ! si toutes les guinées que je possède ou espère jamais posséder pouvaient mettre fin au trafic que vous faites, j’ouvrirais la main pour en laisser tomber l’argent aussi librement que si c’était de l’eau.