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AURORA FLOYD

guides à Lucy ; elle regardait du côté des deux hommes, pâle, hors d’haleine, épouvantée sans doute du résultat de la rencontre.

Talbot lâcha le collet de l’individu et retourna auprès de Mlle Floyd.

— Connaissez-vous cet individu, Aurora ? — demanda-t-il

— Oui.

— C’est un de vos anciens pensionnaires, je suppose ?

— Oui. Ne lui dites plus rien, Talbot. Il a des manières grossières, mais il n’a pas de mauvaises intentions. Restez avec Lucy, pendant que je vais lui parler.

Prompte et impétueuse dans tous ses mouvements, elle sauta à bas de la voiture et rejoignit l’homme sous les branches dénudées des arbres, avant que Talbot eût pu lui faire des remontrances.

Le chien, qui s’était traîné lentement derrière son maître la caressa lorsqu’elle s’approcha ; mais il fut repoussé par un grognement féroce de Bow-wow, qui paraissait peu d’humeur à souffrir pareille rivalité.

L’homme ôta son chapeau, et releva cérémonieusement une des touffes de cheveux roux qui ornaient son front déprimé.

— Vous auriez bien pu parler à un pauvre diable sans faire tout ce tapage, mademoiselle Floyd, — dit-il d’un ton irrité.

— Pourquoi m’arrêter ici ? — dit-elle, — pourquoi ne pas m’écrire ?

— Parce que écrire ne vaut jamais autant que de parler, et parce qu’il est extraordinairement difficile de saisir des jeunes dames comme vous. Comment savoir si votre père n’aurait pas pu mettre la main sur ma lettre, et ç’aurait fait une jolie affaire ; quoique j’ose dire, quant à cela, que si je devais aller à la maison demander une bagatelle au vieux monsieur, il ne se refuserait pas à me la donner. J’ose dire qu’il est bon pour un billet de 5 ou de 10 livres, si cela montait jusque-là.

Les yeux d’Aurora lançaient des éclairs au moment où elle se tourna du côté de celui qui venait de parler.