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AURORA FLOYD

C’est pourquoi il fut décidé que Felden serait la maison de campagne de Talbot et d’Aurora, jusqu’à l’époque où le jeune homme hériterait de la baronnie et du château de Bulstrode, et serait obligé d’habiter sur ses domaines. En attendant, l’ex-hussard devait entrer au Parlement, si les électeurs d’un petit bourg de Cornouailles, qui avaient toujours envoyé un Bulstrode à Westminster, voulaient bien le nommer pour leur représentant.

Le mariage devait avoir lieu dans les premiers jours du mois de mai, et la lune de miel devait se passer en Suisse et au château de Bulstrode. Mme Powell jugeait que son sort était décidé, et qu’elle aurait à quitter ces agréables pâturages après le jour des noces ; mais Aurora s’empressa de rassurer la veuve de l’enseigne, en lui disant que, comme elle, Mlle Floyd ignorait complètement la tenue d’une maison ; elle serait heureuse de la garder auprès d’elle après son mariage, comme guide et comme conseil en pareilles matières.

Les pauvres de Beckenham n’étaient pas oubliés dans les courses en voiture qu’Aurora faisait le matin avec Lucy et Talbot : des paquets d’épiceries et des bouteilles de vin étaient souvent cachés sous le tapis de la voiture, et il n’était pas rare que Talbot se fît un tabouret d’un énorme pain. Les pauvres avaient beaucoup à souffrir de la faim par ce beau mois de décembre, et faisaient entendre toute espèce de plaintes qui, quelque différentes qu’elles fussent dans la forme ou dans le fond, étaient toutes apaisées par un seul et unique traitement spécial, savoir : distribution de demi-souverains, de vieux xérès brun, d’eau-de-vie de France, et de thé poudre à canon. Que la fille se mourût de consomption, ou que le père fût retenu au lit par les rhumatismes, que le mari fût en proie à une fièvre furieuse, ou que le plus jeune des marmots fût convalescent d’une chute dans une chaudière d’eau bouillante, les remèdes que nous venons d’énumérer paraissaient également nécessaires, et ils étaient bien plus populaires que les bouillons de poulet, et les tisanes fébrifuges préparées par le cuisinier de Felden. Talbot avait grand plaisir à voir sa fiancée distribuer ses