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AURORA FLOYD

lis d’Astolat habitait un château seigneurial ; elle avait sans doute beaucoup d’argent à dépenser pour acheter des soies superbes et les faire broder ; elle avait peu de choses au monde à désirer et rien pour s’occuper : c’est pourquoi, après être tombée folle d’amour pour Lancelot, elle dépérit et mourut.

Certes, c’est là le secret de bien des chagrins. Plus d’un est né de l’oisiveté et de l’indolence.

Lucy n’ayant donc rien de mieux à faire, nourrissait et entretenait sa passion sans espoir. Elle avait dressé un autel au spectre et s’agenouillait en l’adorant devant l’objet qui causait sa douleur ; et quand on lui parlait de son visage pâle, et que le médecin de la famille s’étonnait de l’insuccès de sa préparation de quinine, peut-être concevait-elle le vague espoir qu’avant que le retour du printemps amenât le jour des noces de Talbot et d’Aurora, elle aurait échappé à toutes ces démonstrations d’amour et de bonheur, et jouirait du repos éternel.

Aurora répondit à la lettre de lady Raleigh Bulstrode une épître dans laquelle elle exprimait tant de reconnaissance et d’humilité, une si vive espérance de gagner l’affection de la mère de Talbot, mêlée d’une vague crainte de n’en être jamais digne, qu’elle se concilia d’avance les bonnes grâces de la vieille châtelaine. Il était difficile, d’après cette lettre, de se figurer l’impétueuse jeune fille qui l’avait écrite, et lady Bulstrode s’en fit une image qui différait considérablement de l’intrépide et téméraire original. Elle écrivit à Aurora une seconde lettre en termes plus affectueux que la première, et promit à l’orpheline qu’elle serait accueillie comme une fille à Bulstrode.

— Me laissera-t-elle jamais lui donner le nom de mère, Talbot ? — demanda Aurora en lisant la seconde lettre de lady Bulstrode à son fiancé. — Elle est très-fière, n’est-ce pas ?… fière de votre généalogie, qui est très-ancienne ? Mon père sort d’une famille de marchands de Glasgow, et je ne sais même rien des parents de ma mère.

Talbot lui répondit avec un grave sourire :

— Elle vous acceptera, pour ce que vous valez par