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AURORA FLOYD

la sienne qui était moite. Il put lire de la pitié dans ce tendre regard, mais il ne possédait pas de dictionnaire qui pût lui aider à en traduire le sens le plus caché.

— Vous souhaiterez le bonsoir pour moi à votre oncle, Lucy, — dit-il.

C’était la première fois qu’il l’appelait Lucy ; mais qu’importait maintenant ? Sa grande affliction le rangeait à part des autres hommes et lui donnait de tristes privilèges.

— Bonsoir, Lucy, bonsoir et adieu ! Je… j’espère vous revoir dans un an ou deux.

Le pavé de la falaise de l’Est semblait une couche d’air sous les bottes de Bulstrode lorsqu’il s’en retourna à grands pas vers l’hôtel du Vieux Vaisseau ; car, un fait particulier, c’est que, dans nos moments de trouble ou de joie extrême, il nous arrive de perdre entièrement conscience de la terre que nous foulons aux pieds et de flotter dans une atmosphère de sublime égoïsme.

Le Capitaine ne quitta pas Brighton le lendemain pour commencer son voyage pour l’Égypte. Il resta dans la ville d’eaux à la mode, mais il renonça résolûment au voisinage de la falaise de l’Est, et, comme le temps était humide, il alla faire une agréable promenade aux ruines de Shoreham, et, comme Shoreham est un joli endroit, il fut sans doute grandement ranimé par cet exercice.

En revenant, vers quatre heures, par le brouillard, le Capitaine rencontra Mellish tout près de la barrière de péage, en dehors de Cliftonville.

Les deux hommes se regardèrent l’un l’autre comme frappés d’effroi.

— Où allez-vous donc ? — demanda Talbot.

— Je m’en retourne dans le comté d’York par le premier convoi partant de Brighton.

— Mais le chemin qui mène à la station n’est pas par ici !

— Non ; mais on est en train de mettre mes chevaux dans ma malle, et mes chemises partent par le convoi de bestiaux de Leeds, et…

Talbot éclata de rire, d’un rire rauque, amer, mais qui