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AURORA FLOYD

croyait à sa portée, et, maintenant qu’il ne pouvait plus les atteindre, il se figurait que jamais fruit si délicieux n’avait mûri pour tenter l’homme.

— Si… si… — dit-il, — mon sort eût été plus heureux… je sais combien mon père, le pauvre sir John, aurait été fier du choix de son fils aîné.

Comme il se sentait honteux de la mesquinerie de ce langage ! Il avait construit cette phrase adroite afin de rappeler à Aurora quel était l’homme qu’elle refusait. Il essayait de la séduire par l’appât de la baronnie dont il devait hériter en son temps. Mais elle ne fit aucune réponse à ce pitoyable appel. Talbot étouffait presque de mortification.

— Je vois… je vois… — dit-il, — que c’est sans espoir. Bonsoir, mademoiselle Floyd.

Elle ne se retourna même pas pour le regarder au moment où il quitta le balcon ; mais, enveloppée étroitement dans sa draperie rouge, elle se tint debout au clair de la lune, et des larmes muettes coulèrent lentement le long de ses joues.

— Des vues plus élevées !… — s’écria-t-elle amèrement, répétant une expression dont Talbot s’était servi ; — des vues plus élevées !… Dieu l’entende !

— Il faut que je vous dise bonsoir et adieu en même temps, — dit Bulstrode à Lucy en lui donnant une poignée de main.

— Adieu ?

— Oui, je quitte Brighton demain de bonne heure.

— Si subitement ?

— Mais, pas précisément subitement. J’ai toujours eu l’intention de voyager cet hiver. Puis-je faire quelque chose pour vous, au Caire ?

Il était si pâle, il avait l’air si froid, si malheureux, qu’elle eut presque pitié de lui ; pitié de lui, malgré la joie étrange qui lui gonflait le cœur. Aurora l’avait refusé, c’était parfaitement clair… elle l’avait refusé… lui !

Les doux yeux bleus de la jeune fille s’emplirent de larmes en pensant qu’un demi-dieu avait dû endurer pareille humiliation. Talbot lui serra tendrement la main dans