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AURORA FLOYD

— Je crains que vous ne vous soyez fatiguée ce soir, mademoiselle Floyd, fit-il observer.

Aurora étouffa un bâillement en lui répondant.

— Je suis un peu lasse.

Ce n’était pas fort encourageant. Comment allait-il entamer un discours éloquent, quand elle pouvait s’endormir au beau milieu ? Mais il se détermina, se lança immédiatement en plein dans son sujet, et lui déclara qu’il l’aimait, qu’il avait lutté contre sa passion, qui était trop forte pour lui, qu’il l’aimait comme il pensait n’avoir jamais aimé créature au monde, et qu’il se jetait à ses genoux en toute humilité pour attendre de ses lèvres sa sentence de vie ou de mort.

Elle garda le silence quelques instants. La lueur de la lune éclairait son profil que le Capitaine pouvait voir distinctement, et ces lèvres si chères tremblaient visiblement. Puis, détournant à demi le visage, elle lui répondit par des paroles qui semblaient sortir lentement et péniblement d’un gosier étranglé. Cette réponse était-elle un refus ?

Ce n’était pas ce non que prononcent ordinairement les jeunes filles, qui veut dire oui le lendemain, ou qui signifie peut-être que vous ne vous êtes pas jeté a genoux dans un suffisant transport de désespoir ; non, ce n’était rien de ce genre ; mais une négation prononcée avec calme, avec réflexion, nettement, comme si elle eût craint de l’abuser en ajoutant une syllabe qui aurait pu laisser une ouverture par laquelle l’espérance eût pu se glisser dans le cœur du jeune homme. Il était refusé ! Pendant un instant, ce fut tout au plus s’il put y croire. Il était porté à s’imaginer que la signification de certains mots avait changé subitement, ou qu’il avait eu l’habitude de se méprendre toute sa vie sur leur sens, plutôt que de croire tout bonnement que ces mots signifiaient la dure vérité, c’est-à-dire que lui, Talbot Raleigh, Bulstrode de Bulstrode Castle, et d’origine saxonne, avait été refusé par la fille d’un banquier de Lombard Street.

Il garda le silence une demi-heure ou à peu près, à ce qu’il lui sembla, afin de se recueillir avant de reprendre la parole.