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AURORA FLOYD

— Il est inutile de lutter contre sa destinée, — pensait-il ; — le charme exercé par cette femme produit le même effet sur les autres que sur moi-même ; et pendant que je discute ma passion et que j’y résiste, un écervelé comme ce Mellish se met sur les rangs, et celui-là l’emportera sans doute sur moi.

Arrivé sur les marches de l’hôtel du Vieux Vaisseau, il souhaita le bonsoir à son ami, alla droit à sa chambre, où il s’assit à la fenêtre ouverte pour respirer l’air doux et frais d’une nuit de novembre, et regarda la mer éclairée par la lune. Il résolut de faire sa déclaration à Aurora le lendemain avant midi.

— Pourquoi hésiterais-je ?

Il s’était posé cette question cent fois déjà, et il avait toujours été incapable d’y répondre ; et cependant il avait hésité. Il ne pouvait pas se défaire d’une vague idée qu’il y avait quelque mystère dans la vie de cette jeune fille, quelque secret connu seulement d’elle et de son père, quelque tache sur l’histoire du passé, faisant ombre sur le présent. Et cependant, comment cela pourrait-il être ?

— Comment cela pourrait-il être ? — se demanda-t-il, — toute sa vie ne compte que dix-neuf années, et j’ai mainte et mainte fois entendu raconter la manière dont ces années s’étaient écoulées. Que de fois j’ai adroitement amené Lucy à me dire la simple histoire de l’enfance de sa cousine ! Les gouvernantes et les maîtres qui étaient allés et venus à Felden ; les poneys, les chiens, les petits chats et les poulains favoris ; la petite amazone écarlate, qui avait été faite pour l’héritière, quand elle galopait à la suite des chiens avec son cousin André. Les fautes les plus graves que j’ai pu découvrir dans ces premières années sont quelques vases de porcelaine brisés, et une grande quantité d’encre renversée sur des thèmes français mal écrits. Après avoir été élevée dans la maison paternelle jusqu’à l’âge de dix-huit ans, Aurora a été conduite à Paris dans une pension pour achever son éducation ; et toute sa vie a été la vie ordinaire des autres jeunes filles de sa position, et elle ne diffère d’elles qu’en ce qu’elle est bien plus séduisante, et un peu plus volontaire que la majorité.