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AURORA FLOYD

jeune Anglais, gros et gras, enjoué, à la large poitrine, aux cheveux châtains retroussés sur un front découvert, et la bouche, toujours prête à rire, recouverte d’une épaisse moustache brune. Et quand il riait, il le faisait en éclats si sonores et si joyeux, que les gens qui se trouvaient sur la place de la Parade se retournaient pour regarder le gaillard pourvu de si vigoureux poumons, et souriaient de bon cœur par sympathie pour cette franche hilarité.

Bulstrode aurait donné 100 livres pour être débarrassé de ce bruyant habitant du comté d’York. Quelles affaires avait-il à Brighton ? Le plus vaste comté de l’Angleterre n’était-il pas assez vaste pour le contenir, qu’il fallait qu’il vînt traîner ses façons de campagnard du Nord dans le comté de Sussex, pour ennuyer les amis de Talbot ?

Bulstrode ne fut guère plus satisfait lorsque, après avoir fait quelques pas de plus, la petite société rencontra Floyd, qui était venu chercher sa fille. Le vieillard pria qu’on le présentât à Mellish, et invita ce brave habitant du comté d’York à dîner ce même soir à la falaise de l’Est, au grand mécontentement de Talbot, qui se recula de fort mauvaise humeur, et laissa John faire connaissance avec les jeunes filles. Au bout de dix minutes environ, notre provincial avec ses allures familières s’était insinué dans leurs bonnes grâces, et, au moment où l’on eut atteint la maison du banquier, il était plus à son aise avec Aurora que ne l’était l’héritier des Bulstrode après deux mois de relations. Il escorta la compagnie jusqu’au seuil de la porte, donna des poignées de main aux dames et à Floyd, caressa le gros chien Bow-wow, frappa Talbot sur l’épaule d’une tape aussi lourde qu’un coup de marteau, et reprit à la hâte le chemin de l’hôtel de Bedford pour aller faire sa toilette pour dîner. Il était dans une telle surexcitation, qu’il culbuta les petits garçons et se heurta contre de jeunes élégants, qui se rangèrent tout raides d’ébahissement pour laisser passer ce gros homme si empressé. Il fredonna le refrain d’une chanson de chasse en grimpant le grand escalier qui conduisait à son appartement à l’hôtel de Bedford, et jacassa avec son domestique en s’habillant. Il avait l’air d’un être