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AURORA FLOYD

béants au-dessous de lui, au fond d’un talus escarpé. Quel endroit convenable pour un suicide, si Aurora refusait d’avoir pitié de lui ! Le lecteur doit convenir qu’il avait usé de beaucoup d’artifice en adressant la parole à Mlle Floyd. Son appel avait pris la forme d’une accusation plutôt que d’une prière, et il avait fait exactement comprendre à cette pauvre fille la responsabilité qu’elle encourrait en le repoussant. Et cela, il faut l’avouer, est une bassesse dont les hommes se rendent souvent coupables dans leur conduite à l’égard des femmes.

Mlle Floyd leva les yeux sur son amant avec un sourire calme et presque triste.

— Asseyez-vous là, monsieur Mellish, — dit-elle, en lui indiquant un pliant à côté d’elle.

John prit le siège qu’on lui désignait, de l’air d’un prisonnier qui prend place au banc des accusés pour répondre à une accusation capitale.

— Vous dirai-je un secret ?… demanda Aurora, regardant avec compassion son visage pâle.

— Un secret ?…

— Oui, le secret de ma séparation d’avec M. Bulstrode. Ce n’est pas moi qui l’ai congédié de Felden ; c’est lui qui a refusé de remplir son engagement avec moi…

Elle parlait lentement, à voix basse, comme s’il lui était pénible de prononcer des paroles qui révélaient une si profonde humiliation.

— Il vous a refusée ! s’écria Mellish, se levant, rouge de fureur, comme s’il eût voulu courir chercher Bulstrode pour le châtier.

— Oui, John, et il avait le droit d’agir ainsi, — répondit Aurora gravement. — Vous auriez agi de même.

— Ô Aurora !… Aurora !…

— Vous agiriez de même. Vous êtes homme de bien comme lui, pourquoi auriez-vous un sentiment d’honneur moins prononcé que le sien ? Il s’est élevé entre M. Bulstrode et moi une barrière qui nous a séparés pour toujours. Cette barrière, c’est un secret.