Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
106
AURORA FLOYD

C’était dur pour le pauvre Talbot de s’excuser d’avoir obtenu la main d’Aurora. Il ne lui était pas très-facile de rappeler à Mellish que, si Mlle Floyd l’avait accepté, c’était peut-être parce qu’elle le préférait au brave habitant du comté d’York. L’affaire ne s’était jamais présentée sous ce jour aux yeux de John. L’enfant gâté se voyait privé de ce hochet qu’il prisait au-dessus de tous les autres, et dont il avait la possession si follement à cœur. Il ne pouvait comprendre qu’il n’y avait pas eu de déloyauté dans la conduite de Talbot, et il s’indigna violemment lorsque ce gentilhomme osa lui donner à entendre que, somme toute, il eût peut-être été plus sage de ne pas remettre les pieds à Felden.

Bulstrode avait évité toute allusion ultérieure à Harrisson, le marchand de chiens ; et cette discussion, la première qui eût eu lieu entre les amants, s’était terminée par le triomphe d’Aurora.

Mellish errait comme une âme en peine dans les vastes appartements, s’asseyant de temps à autre à une des tables pour jeter un coup d’œil dans un stéréoscope, ou pour prendre un volume magnifiquement relié et le laisser tomber sur le tapis avec une triste distraction ; il poussait de gros soupirs quand on lui adressait la parole, et il était loin d’être d’une compagnie agréable. Le cœur chaleureux d’Aurora fut touché par le spectacle digne de pitié de cet amant repoussé ; elle le rechercha une ou deux fois, lui parla de ses chevaux de course, et lui demanda s’il aimait la chasse dans le comté de Surrey ; mais John passait du rouge au blanc et du froid au chaud quand elle lui parlait, et la fuyait, pâle comme un mort et d’un air effaré, qui aurait pu être grotesque s’il n’eût été l’indice d’une vraie douleur.

Bientôt John trouva un confident de ses chagrins plus compatissant que Bulstrode ne l’avait jamais été ; et ce doux et affectueux confident n’était autre que Lucy, vers qui se tourna le gros garçon du comté d’York dans son trouble. Savait-il ou devina-t-il par quelque clairvoyance merveilleuse que les chagrins de la jeune fille avaient un point de ressemblance avec les siens, et qu’elle était précisément la seule personne entre toutes à Felden qui eût compassion de