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AURORA FLOYD

On comprend instinctivement que l’homme qui taille des crayons ou tient un écheveau de fil sur ses mains tendues, ou porte un chien, des manteaux de soirée, des tabourets, ou des ombrelles, est un fiancé. Mellish lui-même en savait assez pour n’en pas douter. Il poussa un soupir si fort, qu’il fut entendu de Lucy et de sa mère, qui étaient assises devant l’autre cheminée, soupir qui ressemblait passablement à un gémissement ; puis il tendit la main à Mlle Floyd, mais pas à Bulstrode. Il avait dans le cerveau et dans la mémoire de vagues souvenirs classiques de légendes romaines, d’exemples de générosité surhumaine et d’abnégation personnelle ; mais il n’aurait pu se résoudre à donner une poignée de main à ce jeune habitant du pays de Cornouailles à la noire chevelure, eût-il dû lui en coûter le sacrifice du domaine de Mellish. Non, il n’aurait pas pu. Il s’assit à quelques pas d’Aurora et de son fiancé, tordant dans ses mains brûlantes et nerveuses son chapeau au point d’en rendre le bord presque tout flasque, et il fut incapable de prononcer une seule phrase, même pas une pauvre et piteuse observation à propos du temps.

C’était un grand enfant gâté de trente ans, et je crains, s’il faut avouer l’austère vérité, qu’il ne vît Aurora au travers d’un brouillard, qui ternissait et défigurait ce brillant visage à ses yeux. Lucy vint à son secours, en l’emmenant pour le présenter à sa mère, et la bonne Mme Alexandre fut enchantée de sa physionomie franche, blonde et complétement anglaise. Il eut la chance de se tenir le dos à la lumière, de sorte que ni l’une ni l’autre de ces deux dames, ne découvrit le funèbre brouillard qui couvrait ses yeux bleus.

Floyd ne voulut pas entendre parler du départ de son hôte ce soir-là ni le lendemain.

— Il faut que vous passiez la Noël avec nous, — dit-il, — et que vous voyiez ici se renouveler l’année, avant de retourner dans le comté d’York. J’ai tous mes parents près de moi dans cette saison, et c’est la seule époque où Felden ressemble à la maison d’un vieillard. Votre ami Bulstrode