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AURORA FLOYD

CHAPITRE VIII

Retour du pauvre Mellish.

Mellish se lassa de la grande ville de Paris. Mieux vaut l’amour, le contentement, et une croûte de pain dans une mansarde, que du filet de bœuf ou autres mets dispendieux dans les plus magnifiques salons, servis par les garçons les plus complaisants, qui nous rendent hommage et répriment un sourire moqueur en entendant notre accent insulaire. Il se lassa franchement de la rue de Rivoli, de la grille dorée du jardin des Tuileries et des arbres qu’elle enceint. Il se lassa de la place de la Concorde, des Champs-Élysées, des grands boulevards, des théâtres, des cafés, des magasins de gants. Il se fatigua de contempler les montres des bijoutiers de la rue de la Paix, où il se représentait le visage d’Aurora sous les couronnes de diamants et d’émeraudes qui y étaient étalées. Il eut de temps en temps sérieusement l’idée d’acheter un réchaud et un panier de charbon, et de s’asphyxier tranquillement dans le grand salon de l’hôtel Meurice. À quoi lui servaient son argent, ses chiens, ses chevaux, ou ses vastes propriétés ? Tout cela réuni ensemble n’achèterait pas Aurora. À quoi bon sa vie, après tout, puisque la fille du banquier refusait de la partager avec lui ? Souvenez-vous que Mellish, ce gros garçon aux yeux bleus, aux cheveux frisés, avait été, dès le berceau, un enfant gâté, gâté par des parents pauvres, des parasites, des domestiques, des flatteurs, depuis la première heure jusqu’à la trentième année de son existence ; et que cela lui semblait chose bien dure que cette adorable femme lui fût refusée. Le dénoûment de tout cela fut qu’un soir Mellish donna tout à coup l’ordre de plier bagage, et le lendemain, de grand matin, se mit en route pour le che-