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AURORA FLOYD

prier sincèrement s’il y a des chandeliers sur l’autel, il n’en est pas moins enchanté d’empocher mes cent livres. Si je préviens la dame du monde que j’ai des opinions particulières sur les orphelins des marchands d’allumettes, et que j’ai ma théorie contre l’éducation des masses, elle haussera les épaules en signe de contradiction, mais elle aura soin de me faire savoir que toute gratification que mademoiselle Floyd voudra bien faire sera également bien accueillie. Si je leur disais que j’ai commis une demi-douzaine de meurtres, ou que j’ai fait élever sur un autel dans mon cabinet de toilette une statue en argent au cheval qui a remporté le prix au Derby de l’année dernière, et que je lui rends hommage jour et nuit, ils prendraient mon argent et m’en remercieraient de bon cœur, comme cet homme vient de le faire.

— Mais un mot, Aurora : cet homme est-il du voisinage ?

— Non.

— Comment, alors, le connaissez-vous ?

Elle le regarda un instant fixement, sans fléchir, ses traits mobiles empreints d’une expression pensive. On eût dit que dans son for intérieur elle discutait quelque question indécise. Puis, se levant tout à coup, elle s’enveloppa de son châle et se dirigea vers la porte. Elle s’arrêta sur le seuil.

— Cet interrogatoire, — dit-elle, — n’est guère agréable, Capitaine Bulstrode. S’il me plaît de donner un billet de cinq livres à qui me le demande, je prétends avoir l’entière liberté de le faire, et je ne me soumettrai pas à ce qu’on me demande compte de mes actions, pas même vous.

— Aurora !…

Le ton de tendre reproche dont il prononça son nom la frappa jusqu’au cœur.

— Vous pouvez croire, Talbot, — dit-elle, — vous devez certainement croire que j’apprécie trop bien votre amour pour le mettre en péril par mes paroles ou par mes actions… vous devez le croire.