Aurora, non, quand même mon droit de le faire serait plus puissant qu’il ne l’est et que je serais vingt fois votre mari ; mais cet homme, cet individu à mine suspecte, qui vous a parlé tout à l’heure, je ne pense pas qu’il soit de l’espèce de monde à qui vous deviez venir en aide.
— Je n’ose pas dire non, — répondit-elle, — je ne doute pas que je secoure bien des gens qui devraient en toute justice mourir dans une prison ou sur la grande route ; mais, voyez-vous, si je m’arrêtais à discuter ce qu’ils méritent, ils pourraient mourir de faim, pendant que je prendrais des informations ; aussi peut-être vaut-il mieux égarer quelques shillings sur quelque pauvre malheureux qui est assez méchant pour avoir faim, et qui n’est pas assez bon pour mériter qu’on lui donne quelque chose à manger.
Ce langage respirait une indifférence qui choqua Talbot ; mais il ne pouvait s’en formaliser avec raison ; d’ailleurs, il écartait le sujet sur lequel il lui tardait d’être satisfait.
— Mais cet homme, Aurora, quel est-il ?
— Un marchand de chiens.
Talbot tressaillit.
— Je pensais bien que c’était quelque chose d’odieux, — murmura-t-il ; — mais, au nom du ciel, que pouvait-il vous vouloir, Aurora ?
— Ce que la plupart de mes solliciteurs désirent, — répondit-elle ; — que ce soit le desservant d’une chapelle neuve, avec des décors moyen âge, qui veut rivaliser avec la Notre-Dame de Bon-Secours qui est sur une des collines près de Norwood ; que ce soit une blanchisseuse, — qui a brûlé le blanchissage d’une semaine et a besoin de remplir ses engagements ; que ce soit une dame du grand monde, qui est sur le point d’inaugurer un asile pour les enfants des marchands d’allumettes indigents ; que ce soit un faiseur de lectures publiques sur l’économie politique, ou sur Shelîey, ou sur Byron, ou sur Dickens et les humoristes modernes, qui va pérorer à Croydon, ils veulent tous la même chose : de l’argent ! Si je dis au desservant que mes principes sont évangéliques et que je ne peux pas