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AURORA FLOYD

foudroyé Harrisson, l’amateur de chiens et l’attrapeur de rats, n’était pas encore éteint dans ses yeux noirs. Bulstrode ouvrit la porte d’une longue chambre située sous la galerie de tableaux, à moitié salle de billard et à moitié bibliothèque, et qui peut-être était la pièce la plus agréable de la maison, et il se tint de côté pour laisser passer Aurora devant lui.

La jeune femme franchit le seuil aussi fièrement que Marie-Antoinette allant affronter ses accusateurs. La salle était vide.

Mlle Floyd s’assit dans une bergère près de l’une des deux grandes cheminées, et se mit à fixer les yeux sur la flamme.

— Je veux vous questionner à propos de cet homme, Aurora, — dit Bulstrode, se penchant sur une chaise en forme de prie-Dieu, et parcourant d’une main nerveuse les arabesques sculptées dans le noyer.

— À propos de quel homme ?

Cette réponse de la part de quelques femmes eût pu être une façon d’esquiver la question ; de la part d’Aurora, c’était simplement un défi.

Talbot le savait.

— L’homme qui vient de vous parler dans l’avenue. Quel est-il, et quelle affaire avait-il avec vous ?

Ici Bulstrode fléchit complétement. Il l’aimait, souvenez-vous-en, lecteur, il l’aimait, et il avait peur. Il avait peur parce qu’il était sous l’influence de la plus peureuse de toutes les passions, l’amour ! Cette passion qui a pu laisser une tache sur le nom de Nelson, cette passion qui aurait pu faire un poltron du plus brave des trois cents Spartiates morts aux Thermopyles, ou des six cents héros de Balaklava ! Il l’aimait, le malheureux jeune homme, et il se mit à balbutier, à hésiter, à s’excuser, tremblant sous le feu de la colère qui enflammait les beaux yeux de la jeune fille.

— Croyez-moi, Aurora, je ne voudrais pour rien au monde espionner vos actions, ni vous imposer le choix des personnes que vous devez combler de vos bienfaits. Non,