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AURORA FLOYD

de vouloir mettre tout sens dessus dessous ; mais Aurora l’apaisa d’un regard.

— Pauvre Boxer ! — dit-elle, — pauvre Boxer ! tu me reconnais donc, Boxer ?

— Oh Dieu ! mademoiselle, on ne connaît pas la fidélité de ces animaux-là.

— Pauvre Boxer ! je crois que j’aurais du plaisir à t’avoir. Voudriez-vous le vendre, Harrisson ?

L’homme hocha la tête.

— Non, mademoiselle, — répondit-il. Je vous remercie de bon cœur ; il n’y a pas beaucoup de chiens à propos desquels je refuserais d’entrer en marché. Si vous vouliez un épagneul muet, ou un chien couchant russe, ou un terrier de Skye, je vous le procurerais, je vous l’amènerais, et je ne demanderais rien pour ma peine ; mais ce terrier-ci me tient lieu de père, de mère, de femme, de famille, et il n’y a pas assez d’argent dans la caisse de votre père, mademoiselle, pour l’acheter.

— Bien, bien, — dit Aurora d’un ton radouci ; — je sais combien il est fidèle. Envoyez-moi l’adresse, et ne revenez plus à Felden.

Elle retourna à la voiture, et, ayant pris les rênes des mains de Talbot, elle lâcha la bride aux poneys qui ne tenaient pas en place. L’équipage passa près de Harrisson, qui se tint le chapeau à la main, son chien entre ses jambes, jusqu’à ce que la voiture eût disparu. Mlle Floyd jeta à la dérobée l’œil sur le visage de son fiancé, et observa que la physionomie du Capitaine avait pris son expression la plus sombre. L’officier garda un morne silence jusqu’à ce qu’on fût arrivé à la maison ; alors il tendit la main aux deux jeunes femmes pour les aider à descendre de voiture, et les suivit pour se rendre au vestibule. Aurora était sur la première marche du grand escalier, avant qu’il lui adressât la parole.

— Aurora, — dit-il, un seul mot avant que vous montiez.

Elle se retourna, et le regarda d’un air presque de défi ; elle était encore très-pâle, et le feu, dont les éclairs avaient