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comment il l’a acquise ; elle arrive ainsi à saisir dans la valeur une structure bien plus complexe que ne le laissaient croire les réductions subjectivistes. Prenons tout de suite un exemple éclatant : il est évident qu’une suite de Bach ou un portrait de Rembrandt tiennent leur beauté non de moi qui l’apprécie mais de l’auteur de la suite ou du portrait ; on n’a que trop tendance de nos jours à confondre l’amateur avec le créateur ; on n’est pourtant pas en tête-à-tête avec soi-même quand on écoute une sonate de Beethoven. Or il est clair que, de même que le beau n’est rien, abstraction faite de l’œuvre d’art et de son auteur, nulle valeur n’existe pour nous sans une technique qui la réalise dans une œuvre ou dans une opération ; comme il y a une technique du beau, il y a une technique de la santé, de la vérité, de la justice, de la charité ; et l’on pourrait dire que les valeurs religieuses ne s’incarnent que grâce à des religions positives qui sont aussi des espèces de techniques. La valeur ne nous parvient que par l’intermédiaire de l’œuvre d’un créateur. Cette structure à trois termes se trouve en toute valeur ; toute valeur se propage à partir d’un homme jusqu’à un autre homme par l’intermédiaire d’une œuvre ; et même les valeurs qui paraissent dépendre seulement des objets, la saveur d’un fruit ou la douceur du miel par exem-