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de leur fonction sociale, par opposition à l’homme toujours disponible pour la vie véritable. Mais aujourd’hui les relations impersonnelles et collectives réglementées risquent de prendre le pas sur les relations entre les personnes. Dans certains régimes elles deviennent même tout à fait exclusives, et l’individu au sein de la société est condamné à une véritable solitude morale ; les relations individuelles deviennent une espèce de délit ; la volonté personnelle doit s’identifier à la volonté collective (ou prétendue telle) comme la pièce d’une machine obéit irrésistiblement à l’intention de celui qui l’a construite.

Le second danger qui menace la conscience morale, c’est la déviation inverse, celle de l’homme qui s’isole de la société et qui croit trouver dans cette solitude la condition indispensable de sa liberté. De cette déviation l’on trouverait plusieurs types dont les extrêmes seraient assez bien représentés l’un par Rousseau, qui s’exclut lui-même de la société de ses semblables, l’autre par Stendhal, dont l’égotisme ne dédaigne pas le profit qu’il peut tirer des avantages sociaux.

Ce que j’ai dit suffit à montrer comment la conscience morale est atteinte dès que l’on veut éliminer un de ses éléments en gardant l’autre. La moralité n’est donc pas une réalité simple qui se surajouterait à la vie animale et à la vie