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culpabilité en rejetant sa faute sur autrui. Cette sorte de déchirement intérieur qu’est la haine de soi-même provoquée par la faute a été remarquée depuis bien longtemps par Platon quand il a dit, dans les Lois, que l’amitié la plus difficile à obtenir était l’amitié de soi-même. La haine de soi, plus violente encore que le remords et productmce de la haine d’autrui, fait donc sentir la force d’une conscience morale qui est le fond même de notre être et à laquelle nous tentons vainement d’échapper[1].

Il y a là des vues sur lesquelles on ne saurait trop insister à une époque où l’on croit à la toute-puissance des forces du dehors, où l’on pense notamment façonner les esprits par la propagande. Déjà il y a vingt-cinq siècles, c’est encore Platon qui soutenait que la tyrannie comme constitution politique dépendait d’une disposition intérieure des âmes. Il existe une âme tyrannique, c’est celle où, par insuffisance morale, est libérée en nous une multiplicité d’instincts désordonnés qui s’entre-déchirent et ne peuvent être contenus que par la violence. La tyrannie, contrefaçon de l’ordre, est en quelque sorte appelée par l’âme tyrannique. Cette thèse a été reprise dans un livre posthume

  1. H. Baruk, Conscience morale et haines, Revue philosophique, 1946, p. 21.