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expérience, sont liés indissolublement. L’admirable livre de Rauh, L’expérience morale, a fait époque en montrant quel était, dans cette structure, le rôle véritable de l’expérience. L’expérience ne crée pas la conscience morale, elle la met à l’épreuve ; elle exige d’elle des décisions originales, un peu comme en physique, une expérience nouvelle met à l’épreuve une théorie. La conscience morale n’a pas la rigidité d’un cadavre ; elle ne sera jamais du côté de l’intransigeance formaliste des pharisiens.

On a pourtant reproché à Rauh de lui accorder trop de souplesse, de la laisser vaguer au gré des événements. La conscience morale a en effet une autre sorte d’intransigeance, celle qui a été remarquée par le Dr Baruk dans les observations qu’il a faites sur les aliénés dans le service qu’il dirige avec tant de compétence et de dévouement. La conscience lui apparaît non pas comme cette force lénifiante que décrit Rousseau dans la fameuse Profession de foi du vicaire, mais comme une force redoutable capable de produire spirituellement des ravages. La haine que les aliénés témoignent si fréquement à ceux qui les entourent n’a pas d’autre origine : la plupart du temps, en effet, le malade mental est un homme qui, se sentant (souvent à tort) coupable de violation de la conscience morale, arrive à refouler en lui ce sentiment de