Page:Bréhier - Les Thèmes actuels de la philosophie, 1951.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec ses propres besoins est le modèle sur lequel il imagine son propre moi, et c’est bien plus tard qu’il arrive au stade où il imagine les autres d’après lui-même : « La nature humaine, écrit un de ses disciples, Horton Cooley, ne vient que peu à peu à l’existence ; on ne la possède pas en naissant, mais on ne l’acquiert que dans la société[1]. » Le processus de la présence de l’autrui, du toi dans le moi continue toute la vie : chacun de nos actes n’est-il pas en effet modifié par l’opinion que nous avons des opinions qu’ont de nous les autres personnes ? Notre moi est comme un miroir dans lequel se reflète autrui. Notre conscience n’est nullement une monade fermée. Husserl le remarque en ces termes, en critiquant le doute de Descartes sur l’existence des autres personnes : « L’évidence du toi est antérieure à celle du moi propre. »

Ce thème de l’autrui et de la communication des consciences a pris récemment une grande place dans le spiritualisme français. La réciprocité des consciences de M. Nédoncelle[2] démontre dès l’abord que nous ne pouvons chercher à connaître la personne d’autrui par un raisonnement par analogie à partir de la nôtre, ce qui supposerait que nous avons préalablement

  1. Cité par Cuvillier, p. 62.
  2. Paris, Aubier, 1942.