Page:Bréhier - Les Thèmes actuels de la philosophie, 1951.djvu/49

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

destinée, jeté dans un coin perdu de l’univers, avec sa grandeur et sa misère, problème pour lui-même. L’homme de Descartes aboutit à l’homme abstrait du xviiie siècle, celui de La Mettrie, de Condillac et d’Helvétius : c’est un homme qui est coupé de son histoire, coupé de ses rapports avec autrui, coupé de ses rapports avec l’être universel, et les philosophes sont plus préoccupés de le modifier que de le connaître.

Le philosophe d’aujourd’hui ne considère au contraire l’homme que dans ces rapports, et il pourrait prendre pour lui le mot de Montaigne : « Les autres forment l’homme : je le récite. »

C’est le rapport de l’homme avec l’histoire, c’est comme on dit, l’historicité de l’homme comme caractère fondamental de sa structure dont je vais parler aujourd’hui. Déjà et par opposition au xviiie siècle, on sait que le xixe siècle a été le siècle de l’histoire et même des philosophies de l’histoire ; qu’il suffise de nommer Hegel et Auguste Comte. Mais elles sont d’un esprit très différent de celle de nos contemporains. Disons qu’elles ignorent l’individu, sinon, parfois, à titre de repères, quelques grands hommes où elles voient moins des individus que les porteurs et les représentants d’une idée. Il semble que pour elles l’histoire est une sorte de réalité transcendante, qui impose aux individus sa marche et ses projets en les forçant à être