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Je veux m’en tenir à ce qui apparaît, au phénomène, à ce frémissement pur, à cette impression vécue, à ce flux ; mais dans cette description, je ne puis, contrairement au physicien, qui ne pense que les choses extérieures, détacher cette impression de mon corps et de ma conscience qui l’éprouve ; je la vis comme une présence simultanée, comme une coprésence, de moi-même et des choses, sorte de relation d’un genre unique, très différente de la relation de causalité, puisque, en appelant monde ces flux innombrables d’impressions vécues, je ne puis me passer du monde pas plus que le monde de moi. C’est par abstraction que, prenant le regard du physicien, nous isolons le moi de son incarnation dans le corps, et le corps de sa présence au monde, et les objets du monde les uns des autres. L’ascèse husserlienne consiste non pas à supprimer ce monde du physicien, mais, comme dit Husserl, à le mettre entre parenthèse, à le mettre hors circuit, c’est-à-dire à libérer notre regard pour cette analyse du purement vécu.

Je voudrais insister sur l’importance de ce changement de direction. La philosophie a longtemps pris pour modèle les sciences exactes, c’est-à-dire celles qui, opérant sur des concepts parfaitement définis, peuvent procéder par déduction. Or, le vécu, qui est fluent, n’est pas