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les suivantes, et ainsi le progrès devient progrès collectif, progrès de l’humanité.

On voit le contraste profond qu’il y a entre la connaissance considérée comme transformation de notre être et la connaissance en tant qu’elle est un accroissement constant de pouvoir sur les choses ; le première concerne notre fin la plus intime, la seconde nos moyens d’action ; la première se rapporte à ce que nous sommes essentiellement, à notre destinée personnelle, la seconde à ce que nous acquérons mais sans que la fin de cette acquisition soit en rien déterminée.

Or la civilisation moderne, depuis le xvie siècle surtout, est née d’un attrait continuellement croissant pour le second type de connaissance ; grâce à un progrès qui agrandit sans cesse notre capital mental, des moyens d’action de plus en plus nombreux et puissants sont mis à la disposition des hommes : ces moyens sont fondés sur des techniques et des connaissances qu’un très petit nombre d’entre eux, une poignée quelquefois, est seul à posséder et, par conséquent, si elle donne à tous les hommes des moyens d’action, elle ne leur prescrit aucune fin. Les plus grands penseurs du xviie au xixe siècle ont été hantés par cet idéal d’une connaissance progressive qui assure à l’homme l’empire du monde matériel ; cet idéal a été déterminant dans leur conception de l’univers