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LES IDÉES LATENTES DU LANGAGE.


nous, au lieu du savant agencement qui nous charmait, une série de racines, les unes attributives, les autres pronominales, mises bout à bout, et présentant, au milieu de redondances nombreuses, les ellipses les plus fortes et les sens les plus décousus. C’est la même illusion qu’en présence d’un tableau nos yeux croient apercevoir des oppositions de lumière et d’ombre sur une toile partout éclairée du même jour, ils voient des lointains là où tout est sur le même plan. Si nous approchons de quelques pas, les lignes que nous pensions reconnaître s’interrompent et se perdent et, la place de figures diversement éclairées, nous trouvons seulement des couches de couleur figées sur la toile, et des traînées de points lumineux qui se suivent sans se joindre. Mais il suffit que nous retournions en arrière, pour que notre vue, cédant à une longue habitude, fonde les tons, distribue le jour, relie les traits et recompose l’œuvre de l’artiste.

Depuis que la philologie comparative, étendant ses recherches à toutes les races du globe, a constaté l’existence de différentes familles d’idiomes, et a reconnu la prodigieuse variété de structure que comporte le langage humain, on sourit volontiers des théories de l’ancienne grammaire générale qui, s’appuyant sur l’exemple de la langue latine, et empruntant à la philosophie scolastique ses catégories, prétendait tracer le modèle invariable d’après lequel tout langage humain avait nécessairement dû être construit. On ne cherche plus aujourd’hui en chinois les neuf parties du discours, de même qu’il n’est


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