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LES IDÉES LATENTES DU LANGAGE.


d’autres exemples dans la même langue, le s s’est assimilé à la lettre r dont il était précédé, et au lieu de ters, tors, on a eu terr, torr. Nous trouvons la forme torr dans le verbe causatif torrere « sécher, brûler », et dans l’ancien participe torrens, qui désigne un cours d’eau qui reste à sec pendant l’été ; dans le substantif torris « un morceau de bois sec ». La forme terr nous est conservée par notre nom terra, qui veut dire littéralement la sèche, par opposition aux ύγρά κέλευθα, aux routes humides de la mer. Comme pour nous attester que l’e de terra est bien l’équivalent de l’o de torrere, nous avons le dérivé extorris « exilé », qui suppose un primitif torra (1)[1].

Sans sortir de cette famille de mots, on peut citer un second exemple de substantif français et latin, qui cache une ancienne idée qualificative. C’est le mot tête, qui, comme on sait, est le latin testa « une amphore, un pot ». Mais testa est pour tersta, comme tostus pour torstus le sens primitif est « cuite, terre cuite (2)[2]. »

Ce n’est donc pas d’après nos idiomes modernes où l’usage a obscurci l’acception des mots, qu’il faut juger la parenté originaire de l’adjectif et du substantif. Il faut remonter le cours des âges, jusqu’à ce qu’on arrive au

  1. (1) L’adjectif s’est conservé dans les langues germaniques. Gothique thaursu-s « aride », vieux haut-allemand durri (même sens), allemand moderne dürr. De thaursu-s vient en gothique le verbe thaursjan « avoir soif », qui a donné le substantif thaurstei « soif » (en allemand moderne durst, en anglais thirst).
  2. (2) Le participe tostus s’est conservé en français comme adverbe dans le mot tôt (aussitôt, tantôt). Le sens primitif est « chaud, vite », en italien tosto.