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LES IDÉES LATENTES DU LANGAGE.


adjectif dans une langue le terme qui est devenu substantif dans une autre. Deux catégories aussi essentielles aux yeux du logicien que la substance et l’attribut n’ont été d’abord distinguées en rien par la parole. C’est grâce à la richesse et à la flexibilité de nos idiomes que ces deux parties du discours ont pu, dans la suite des temps, être séparées d’une façon plus ou moins complète.

Il est vrai que nos langues modernes nous présentent des noms comme ciel, terre, soleil, nature, qui ont à nos yeux une valeur purement substantive. Mais il suffit que nous examinions de plus près l’histoire de ces noms, pour reconnaître qu’à l’origine ils étaient des qualificatifs, et que c’est à un acte de notre entendement qu’ils doivent leur valeur actuelle. Prenons, par exemple, en français, le mot terre ; il semble bien que ce nom exprime une idée de substance, et nullement une idée de qualité. Mais si nous retournons de quelques pas en arrière dans le développement des langues indo-européennes, nous n’aurons point de peine à découvrir la notion adjective qui était autrefois renfermée dans ce mot. Il existe en sanscrit une racine tars (prononcez tarsh), qui signifie « être sec, se dessécher, avoir soif ». Elle a formé en sanscrit le substantif tarsa « soif » et le verbe trsjâmi « j’ai soif ». En grec nous retrouvons la même racine sous la forme τερσ ou ταρσ dans τέρσομαι « je sèche », τερσαίνω « je fais sécher), et dans ταρσόζ « une claie pour sécher ». En latin, notre racine se présente sous la double forme ters ou tors. Mais par un changement dont il existe