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LES IDÉES LATENTES DU LANGAGE.


langue populaire, non moins que la tradition poétique, leur fournissaient le premier modèle. Les composés d’usage courant, comme πολυμαθήζ, πολιαρχοζ, étaient le type de ces créations savantes et préparaient le peuple à les comprendre.

On s’est demandé souvent pourquoi le français a laissé perdre une faculté aussi précieuse. Il est certain que notre langue en a possédé au moins les rudiments. Orfèvre (auri faber), vermoulu {vermi molutus), sont de vrais composes. Mais il semble que le français ait craint d’omettre l’expression des rapports, et qu’il n’ait pas eu assez de confiance dans l’intelligence abandonnée à ses seules forces. On peut regretter cet excès de scrupule, car les prépositions qu’il s’est fait un devoir d’employer sont souvent d’un médiocre secours pour la pensée. Un maître à chanter n’est pas plus clair que l’allemand singlehrer, et un cabinet de lecture ne vaut pas mieux que reading room. Nous défaisons les composés grecs, et au lieu de ροδΌδάκτυλοζ ήώζ nous mettons l’Aurore aux doigts de rose mais ces articles, ces prépositions à, de, sont plutôt là pour satisfaire aux exigences d’une langue devenue rigoriste et vétilleuse, que pour répondre à un besoin de précision et de clarté. Combien nous aimerions mieux marcher sans ces béquilles ! Il faut que la compréhension spontanée de rapports sous-entendus ait un charme véritable pour l’esprit, puisque nous voyons des langues aussi analytiques que la nôtre assembler souvent leurs mots à la façon des composés grecs ou sanscrits. Là où nous disons